Ahmed
Akkari à Aarhus en juillet 2013
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Après avoir été
proche des milieux islamistes, Ahmed Akkari, un jeune libano-danois qualifié
d'imam par les médias locaux, prend du recul et critique l'influence des
religieux qui, selon lui, empoisonnent l'esprit des jeunes. Témoignage.
Un épisode de ma
scolarité reste à jamais gravé dans ma mémoire : mon professeur d'histoire au
lycée avait posé par terre, sous une table, une boîte d'allumettes à l'effigie
de Tordenskjold [héros naval dano-norvégien représenté sur la quasi-totalité
des boîtes d'allumettes danoises]. Puis, il nous avait demandé d'observer la
boîte depuis nos places respectives. Chacun de nous avait ainsi vu la boîte
sous un angle différent et sous une perspective particulière. Cela nous avait
amusés cinq minutes. Notre professeur avait ensuite commencé à parler de la
personne et du héros Tordenskjold, en nous racontant de quelles manières son
histoire avait été utilisée à travers les âges.
J'ai grandi à Thy et à Aalborg [au nord
du Danemark]. Jusqu'à l'âge de 16 ans, j'ai été à l'abri des influences qui
devaient ultérieurement changer mon destin. A 16 ans, ma vie a en effet pris un
autre cours - pour le mieux, ai-je d'abord pensé. J'ai été enrôlé dans une
mission islamiste par notre voisin d'une part, qui ne ressemblait absolument
pas à un islamiste actif, et par d'habiles recruteurs d'autre part, membres de
la mosquée locale de Danmarksgade à Aalborg.
C'est l'idée de la vie idéale, de la délivrance du mal et du contact
avec la puissance absolue (Dieu) qui m'a fait accepter, lentement mais
sûrement, les influences du milieu islamiste de la communauté. Ce fut le début
d'un long périple ponctué de lectures et de rencontres avec de grandes figures
du milieu. Mais le discours était une chose, l'action une autre. La
transparence, l'inclusion et l'ouverture faisaient défaut, et le mode
d'enseignement, d'instruction et d'encadrement était radicalement différent de
celui que j'avais connu à l'école danoise.
Les islamistes
supposent que chaque mot du Coran est loi
Alors qu'à l'école et au lycée, on apprend à reconnaître et à écouter
les arguments, on assistait ici à une transmission de règles et de
prescriptions sans aucun esprit critique. Les vérités assénées par les personnes
pieuses étaient en réalité l'expression de luttes de pouvoir et de
positionnements dans la sphère sociale. Les groupes et assemblées islamistes
étaient presque les mêmes partout. J'ai été frappé de constater à quel point
ils étaient souvent régis par des intérêts personnels et savaient servir ces
derniers à force de manipulations. J'ai vécu l'intolérance à l'égard de ceux
qui pensaient autrement, même des coreligionnaires qui ne partageaient pas les
mêmes convictions.
Les islamistes supposent que chaque mot du Coran est loi et que chaque
source donnée par Mahomet est la base d'une loi. Cette idée s'est enracinée
chez la plupart des musulmans ordinaires, qui ne peuvent donc pas imaginer
d'interpréter autrement les textes sans avoir le sentiment d'offenser Dieu et
de commettre un sacrilège. On peut croire pendant longtemps qu'on voit la
vérité, alors qu'en réalité on ne voit que des idées. C'est un peu comme
regarder une boîte d'allumettes depuis une chaise placée dans une grande salle.
J'ai pris conscience de ce phénomène lors de l'été 2011 au Liban, alors
que je rendais visite à un ami et directeur d'école libanais. Je trouvai chez
lui plusieurs livres intéressants qui, je m'en souvenais, avaient fait grand
bruit au Moyen-Orient. L'un d'eux était Critique du discours religieux, écrit
par un intellectuel du nom de Nasr Hamed Abou Zeid. Ses arguments lui valurent
en son temps d'être condamné comme dissident et apostat.
Tout au long de ma lecture, en confrontant les arguments de l'ouvrage
avec le jugement prononcé à l'encontre de Zeid, j'ai constaté un écart
considérable entre les propos du livre et la manière dont il avait été attaqué.
Cette découverte décisive m'a convaincu que chez les islamistes, l'éducation
était fondamentalement mauvaise. Les livres écrits par Zeid constituaient une
tentative d'intellectuel pour interpréter une partie des textes essentiels de
l'islam à partir d'un fondement moins connu, basé sur des points de vue à la
fois philosophiques et spirituels. Cela, l'islam sunnite monopoliste ne pouvait
le tolérer !
L'islam doit
s'affranchir du pouvoir des islamistes
La préface de
l'ouvrage de Zeid que j'ai lu chez mon ami au Liban présente à la fois la
critique du livre et le jugement auquel il a donné lieu. Il s'est avéré que le
tribunal, dirigé par un éminent érudit, n'avait même pas lu au-delà de la page
36 des 200 que comptait le livre. Au bout de 36 pages, il avait refermé le
livre pour prononcer son jugement introduit par ces mots : "Il nous a été
impossible d'en lire davantage". Ceci mit un terme à mon trouble de longue
date. Quelque soit le contenu du livre, il était vraiment démesuré de condamner
son auteur à l'apostasie. Abou Zeid a été contraint de divorcer et a été déchu
de ses droits fondamentaux.
Le véritable problème n'est pas l'islam, mais l'islamisme. Sous toutes
ses formes et variantes - sectes, tendances, grands courants ou petites sphères
fermées - l'islamisme constitue une réalité conflictuelle dans le contexte de
la culture danoise qui se distingue par une éducation libre et critique. Les
idées du programme islamiste sont incompatibles avec l'organisation exigée par
la société mondialisée, comme nous en sommes témoins en Egypte, en Iran, au
Pakistan et comme nous l'avons vu au Soudan et dans les Etats du Golfe. En
effet, les courants islamistes manquent de flexibilité et sont trop contrastés.
L'islam doit donc s'affranchir du pouvoir des islamistes et s'ouvrir au monde
comme une croyance où l'individu peut se reconnaître sans être dans l'action
politique.
L'islamisme a fait
son apparition en Occident avec le flux de réfugiés venus des pays du tiers
monde. Au Danemark, il contribue à infecter l'esprit des jeunes, comme ce fut
mon cas. Profondément influencés par la culture du pays d'origine,
l'endoctrinement et l'éducation islamistes actuels sont si peu nuancés que des
solutions alternatives sont indispensables pour éviter que des individus aussi
jeunes en viennent à avoir une conception du monde totalement étrangère à la
réalité.
Assécher le
terreau des groupes extrémistes
L'école danoise a donc une mission considérable, qu'elle doit remplir de
manière habile et ciblée. L'importance cruciale de la flexibilité, de la
tolérance et de l'éducation critique doit à cet égard être soulignée. Il
convient également de réglementer la gestion des congrégations et des
associations islamiques. Les communes doivent être en droit d'exiger que leurs
activités assurent un rapprochement avec les autres contextes éducatifs de la
société.
D'autre part, il faut inspecter de plus près les écoles privées de
confession musulmane et réglementer l'enseignement, les acquis et les méthodes,
encadrer la culture de cohabitation en milieu scolaire et, surtout, soutenir
les disciplines humanistes et créatives telles que l'enseignement de la musique
et l'instruction religieuse.
L'influence des
islamistes les plus radicaux dans l'enseignement engendre des conflits chez
différents groupes et individus qui, après une scolarité apparemment normale,
entrent soudain en guerre contre la société, comme ce fut mon cas. J'espère que
mon récit permettra d'assécher le terreau des groupes extrémistes et de
rapprocher davantage la population musulmane de la société danoise.
L'auteur :
Ahmed Akkari est
né en 1978 au Liban. Avec sa famille, il s'est exilé au Danemark en 1985 quand
sa ville natale, Tripoli, a été bombardée. Professeur des écoles, Akkari a
obtenu la nationalité danoise en 2005. Il nie avoir été un "imam",
comme l'ont surnommé les médias, bien qu'il ait été un activiste politique et
un prédicateur religieux. Akkari est surtout connu pour avoir participé à la
délégation des imams qui s'est rendu au Moyen-Orient lors de la crise des caricatures
danoises en 2005. La délégation cherchait à obtenir du soutien pour condamner
les caricatures et à mettre la pression sur le gouvernement danois qui refusait
de rencontrer des ambassadeurs des pays musulmans. Akkari a été dénoncé à la
police environ 300 fois pour "activités subversives" et activités
contraires aux intérêts nationaux. Au mois de juillet 2013, Akkari s’est excusé
publiquement sur son action pendant la crise des caricatures.
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