- Écrit par Youssef Chiheb
L’autonomie
des territoires est aujourd’hui une revendication plus au moins partagée,
entre les Etats et leurs composantes identitaires endogènes. Impulsée par la
décentralisation ou dictée par les impératifs de gouvernance et de paix civile,
l’autonomie des territoires varie d’un contexte géopolitique à l’autre. Elle
évolue, globalement, autour de trois scénariis dont il est difficile de ne pas
s’y référer.
Le premier
s’inscrit dans une volonté de démocratisation politique, d’efficacité
socioéconomique et traduction des limites de l’Etat providentiel. Ce premier
choix se décline par la décentralisation ou le transfert de compétences
moyennant la péréquation budgétaire et dans une organisation égalitaire des
territoires. Introduite en France par G. Deferre en 1983, au profit des
collectivités territoriales dont les prorogatives ont été définies par l’Etat.
L’objectif étant l’atténuation du jacobinisme prévalent après la seconde
guerre mondiale et la contenance de la diversité territerioculturelle
dans l’Europe des régions (Allemagne, Espagne) où ce processus est très
avancé.
Le deuxième
scénario répond à une volonté de la strate locale de s’affranchir, sur fond de
distorsions politiques, de l’Etat nation ou de l’Etat central, par un mode de
gouvernance à géométrie variable et d’instances exécutives différenciées.
L’égalité des territoires, est alors, remise en cause par l’introduction du
principe de la dérogation négociée sous souveraineté de l’Etat central. La Polynésie,
Mayotte, la Nouvelle Calédonie incarnent ce compromis, appelé autonomie élargie
dans la souveraineté.
Le troisième
scénario, sur fond de rupture, est celui de la cession unilatérale tendant
explicitement, à l’indépendance. Il se met en œuvre, soit par des accords à
l’amiable de cession progressive (Îles des Comores), soit par référendum (Île
de Mayotte), soit par la ratification d’un accord, mettant un terme à aux
cycles de violences (Île de la Nouvelle Calédonie), débouchant sur un compromis
politique (Accords de Matignon), et, à terme, prévoyant l’autodétermination par
référendum en 2025. Les Etats, ayant donné une suite favorable aux formes
différenciées d’autonomisme, et ayant fait le choix de tel ou tel scénario ont
retenu l’option la plus réaliste, acceptable par les protagonistes et
garantissant, à la fois, la viabilité et la sécurité des entités territoriales
autonomes émergentes, et celle de l’Etat central. Trois grilles de lecture
conditionnent la recevabilité de l’autonomisme (les déterminent, les
déclinaisons, les exclusions).
Pour les
déterminants, les Etats prennent en compte la recevabilité et la légitimité de
l’autonomie des territoires basée sur leurs spécificités prononcées et
l’incapacité du droit commun à les contenir. La géographie et le contexte
géopolitique sont les principaux critères de cette differencialisation.
L’éloignement, l’excentricité, l’insularité, la continentalité sont les balises
structurelles de la marche vers l’autonomie. La relation de la France
métropolitaine aux départements et territoires d’outre mer illustre ce cas de
figure. Perdu au fin fond du Pacifique, dans l’océan Indien ou dans les
Caraïbes, les Îles se tournent, par reflexe, vers leur environnement
géographique, géopolitique et culturel proche. « L’indépendance dans
l’inter dépendance » dixit Edgar Faure s’impose par ce déterminisme
géographique qui a fini, paradoxalement, il y a plus de cinquante ans, par
altérer et désintégrer l’empire colonial. Ensuite, vient l’Histoire comme
marqueur et/ou catalyseur de cette differencialisation. Les territoires, fruit
des découvertes géographiques, des changements de souveraineté entre les
empires coloniaux, des conquêtes religieuses et des évolutions sociétales
dichotomiques et séparées entres les autochtones et les Européens (apartheid de
fait et non de droit). Enfin, la composante ethnique, linguistique et
culturelle en porte le cout de grâce. L’ensemble de ces déterminants,
conjugués aux disparités socioéconomiques et du clivage entre l’Etat central et
les territoires tentés par l’autonomie en matière du développement humain,
finit par stimuler les revendications et discréditer l’hypothèse de la
cohabitation ou de la juxtaposition d’entités profondément distinctes, voire
antagonistes, en un seul Etat compacte.
Pour les
déclinaisons, les Etats proposent, imposent ou négocient des schémas
d’évolution du processus d’autonomie des territoires, par paliers, afin
d’éviter la rupture brutale, synonyme du chao ou de menaces sécuritaires. Au
niveau juridique, la dérogation en est la locomotive. Progressivement,
les territoires cible se détachent du droit commun en matière de gouvernance
(Education, Droit de la famille, Fiscalité, Assemblé territoriale, Gestion des
ressources…) cependant, l’Etat continue d’exercer sa souveraineté avec le
principe de la non réciprocité. Le cas de la Polynésie est représentatif.
L’archipel dispose de sa propre assemblée exécutive, de sa monnaie, indexée sur
l’euro. A Mayotte, les principes de la laïcité ne s’y appliquent que peu où 98%
de la population est musulmane. Le droit coutumier déroge au code civil.
Le passage du statut de territoire au département d’outre mer s’est effectué
par réferundum local et non par ordonnance.
Pour ce qui
est des exclusions, les Etats définissent des lignes rouges, au principe
d’autonomie des territoires, à ne pas franchir et qui ne peuvent faire l’objet
de négociations. La sécurité nationale, le drapeau, les affaires étrangères, la
monnaie, et la défense constituent les domaines réservés des Etats. En Europe,
en Amérique, en Asie et en Afrique, des modèles d’autonomie divers et variés
ont été octroyés aux minorités ou aux territoires spécifiques, sans pour autant
toucher aux éléments matriciels relevant de la souveraineté. Le modèle français
en matière d’autonomie des territoires est riche en expériences, efficace par
ses modes de gouvernance et réaliste par la viabilité des formes d’autonomie.
Tant au niveau de la métropole (Concordat à Strasbourg, statut du territoire de
Belfort, Assemblée Territoriale en Corses) que de l’Outre Mer (Polynésie,
Mayotte, Nouvelle Calédonie), toutes ces entités territoriales, dont la
légitimité et l’éligibilité à l’autonomie sont avérées, jouissent de statuts de
territoires autonomes à géométrie variable. Cependant, l’Etat central
n’est pas prêt à faire de ces dérogations concédées une évolution linéaire vers
l’indépendance. Beaucoup de départements et territoires d’Outre Mer ont
privilégié l’autonomie élargie sous souveraineté française, plutôt qu’une
aventure autonomiste pouvant conduire au désastre économique et à la
dislocation du cordon sécuritaire et géostratégique.
Aujourd’hui,
la viabilité et la sécurité de beaucoup d’Etats en Afrique sont remises
en cause de par la porosité des frontières, les tensions communautaires ou confessionnelles,
l’ancrage du Jihadisme dans l’arc allant de la Somalie jusqu’à la Mauritanie.
Les menaces de sécurité régionale (terrorisme, trafic d’armes, traite humaine)
s’imposent aujourd’hui, à la fois, comme déterminants, déclinaisons et
exclusions aux projets d’autonomie négociés entre les Etats et les territoires
qui y souscrivent dans en Afrique. L’autonomie élargie, dans la souveraineté,
est un gage de l’exercice durable, viable et géopolitiquement acceptable pour
les pays dans les zones crisogènes, en particulier dans le no man’s land
du Sahara et du Sahel.
-Youssef Chiheb, Université Paris XIII – Sorbonne
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