_ Écrit par Karim
Abdelkader
Partant des
différentes observations sur le terrain et des discussions et rencontres qu'il
a pu avoir avec quelques responsables et professionnels du cinéma, Karim Abdelkader
propose quelques éclairages sur les jeux et les enjeux du cinéma marocain. Il
le fait sous forme de lettre ouverte à
Sarim Fassi Fihri, nouveau directeur du Centre cinématographique marocain (CCM).
Tout le monde parle avec extase de l’envol et de la dynamique de
ce cinéma en désignant le nombre de films produits par an ces derniers temps
qui sont passés de 2 ou 3 films dans les années 80 à 25 films
aujourd’hui. Nous ne pouvons qu’être satisfaits de cette progression mais nous
nous apercevons vite des contraintes énormes qui refroidissent cette euphorie.
En premier lieu, les endroits de diffusion à savoir les salles de
cinéma qui naturellement devraient fleurir pour accueillir ce nombre croissant
de films produits. Voyons l’état des lieux de ces salles.
En 1956, le pays comptait 156 salles, en 1971, 244 salles, en
1985, 247 salles et en 2014 seulement 31 salles avec 57 écrans. La
carte géographique des salles à travers le pays se réduit au fil du temps.
Actuellement, il n’y a que 10 villes marocaines qui en possèdent. Il s’agit
d’Agadir, Casablanca, Fès, Marrakech, Méknès, Oujda, Rabat, Salé, Tanger
et Tétouan. Sachant que la situation de quelques salles sont précaires et
risquent de fermer leurs portes si ce n’est déjà fait comme le cinéma Royal,
l’unique salle restante d’Oujda. Elle est dans un état catastrophique. Aussi
les villes d’Agadir et de Salé qui contiennent chacune seulement une salle. Ce
sont là les dernières qui sont sous perfusion et qui subissent lentement et
tristement l’usure du temps.
Le coupable premier désigné à la vindicte populaire est le
piratage des DVD. Mais dans quelle mesure cela est véridique ?
Je répétais toujours une formule favorite à tous mes
interlocuteurs en leur disant qu’en Chine dix salles s’ouvrent chaque jour et
au Maroc dix salles disparaissent chaque jour.
Pourquoi la chine me dit-on ? Nous ne pouvons se comparer
qu’aux pays qui sont mieux lotis. Et pourtant la chine est le paradis des DVD
piratés, subit la crise économique, le ticket de ciné est à 4 euros en moyenne
(40 DH) beaucoup plus cher qu’un DVD piraté. Sans oublier une censure très
sévère imposée aux films. Mais le fleurissement des salles, le soutien de
l’Etat pour les films chinois, le quota imposé aux films étrangers (une
cinquantaine par an) et l’adhésion du public chinois pour les films nationaux
ont redynamisé fortement le secteur cinématographique. A tel point que les
chiffres officiels en promettaient treize mille écrans en 2013.
A l’image de la Chine, on aurait pu sauver les salles en optant
pour le développement du secteur une politique globale et non fractionnaire. En
l’absence des salles, ce sont les festivals de cinéma qui poussent comme des
champignons partout au pays de telle façon qu’on peut dire que chaque ville a
son festival. Ce n’est donc pas étonnant de constater qu’actuellement il
y a plus de festival de cinéma ((51 festivals entre long-métrages,
courts-métrages et documentaires) que de salles.
Les conséquences sont non négligeables sur l’exploitation des
films marocains.
Un cinéma tourné presque exclusivement vers la production
Le premier film national du box office au Maroc ne fait pas plus
de 97 000 de recettes (du 01/01 au 30/09/2014), plus exactement
96 399 de recettes. Il s’agit du film « Derrière les portes
fermées » de Mohamed Ahed Bensouda. Alors qu’en France le film « Lucy »
de Luc Besson caracole au box-office avec plus de 5,1 millions d'entrées,
depuis sa sortie le 14 août 2014. Il s'agit du troisième succès de l'année,
derrière les deux autres films français « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu? » de
Philippe De Chauveron, plus de 12 millions d'entrées et « Supercondriaque »
de Dany Boon, avec plus de 5 millions d’entrées.
Le film marocain ne souffre pas de manque de qualité et pas non
plus de l’engouement public.
C’est bel et bien un problème de choix. Le manque des lieux de
diffusion réduit par conséquent le nombre de spectateurs. Car les efforts
étaient déployés presque entièrement sur la production pour augmenter le nombre
de films produits sans se soucier réellement de la diffusion, de la
distribution à l’intérieur et à l’extérieur du pays et de la commercialisation
de ces films.
Il est navrant de voir l’itinéraire du film marocain limité
à quelques salles dans les grandes villes comme Casablanca, Rabat, Marrakech et
Tanger et quelques festivals à l’étranger et finir à la TV et au DVD piraté.
Des chaînes de télévision qui ne font pas assez pour encourager la production
nationale. Que je sois au Maroc ou à l’étranger je me branche sur une chaîne
marocaine pour voir un programme du pays, je suis pris de vertige en voyant des
visages mexicains ou turcs qui parlent en dialecte marocain dans ces séries
mexicaines, turques et autres. Une télé sans identité est une télé poubelle.
Même les cinés –clubs ne trouvent pas de salles pour projeter
leurs films à leurs adhérents.
A cet égard, je remémore une scène du film documentaire
« Ouarzazate Movies » d’Ali Essafi dans laquelle les responsables
d’un Ciné club de la Casbah de Ouarzazate ne trouvent pas de salle pour
projeter leur film. Les deux salles existantes dans la ville Cinéma Sahara et
Atlas sont fermés et sont à vendre. Les adhérents du club suivent froidement
leur film dans une télévision.
Créer un grand sursaut
Il est souhaitable de mettre en place une politique d’aide et
d’accompagnement pour la restauration et la création des salles, initier et
encourager l’éducation artistique, élargir l’exploitation du film marocain,
trouver des marchés en Europe et ailleurs. Aussi avoir
une politique claire, volontariste, ambitieuse et courageuse qui
nécessite la contribution de tous Etat, responsables, professionnels,
cinéphiles, chercheurs...
La richesse de la culture millénaire marocaine ne rayonne pas
assez au niveau national et international.
En attendant ce grand sursaut je ne peux parler actuellement
d’un cinéma marocain mais des films marocains.
Abdelkader
Karim, Chercheur et réalisateur
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